Mon corpus d’œuvre s’inscrit dans le mouvement des métiers d’art actuel et se rattache essentiellement au processus de la construction de tissu, évoquant le patrimoine dans un contexte de hautes technologies. La transmission et la valorisation de ce savoir-faire sont des valeurs importantes de ma démarche de création.
J’accorde une grande importance à la fabrication du tissu, à la relation au métier à tisser, au fait de contrôler un mécanisme dans lequel chaque fil est placé, tendu et prêt à s’entrecroiser dans un motif prédéfini. L’ouvrage tire sa richesse du plaisir ressenti dans le geste, de la fierté d’avoir maîtrisé le processus et produit une étoffe achevée. La somme des gestes, qui s’estompe dans l’étoffe en lui conférant ses propriétés fonctionnelles, esthétiques et expressives, est une fin en soi.
La matière tissée devient objet de contemplation, d’émotion et de réflexion qui révèle la maîtrise d’un savoir-faire. La matière fibre est magnifiée par ce lent processus qui sépare la matière brute de l’objet fini, par les gestes rigoureux et précis de la main du tisserand. Ce que le tisserand voit dans un tissu est invisible pour les yeux. Il s’agit du déploiement des fils, du contrôle des tensions, de l’état du fil-unité, avant que s’opère la synthèse des couleurs et des textures, de la vibration des outils propulsés, de la sonorité légère du fil qui se déroule entre les doigts, du regard pointu que l’on pose à chaque séquence. Chef d’orchestre du multiple, le tisserand manipule avec doigté, fermeté et douceur sa matière de façon aérienne.
Être tisserande de métier au Québec en 2015 est une manifestation artistique. S’entêter à tisser à la main alors que l’industrie du textile est au sommet de son efficacité et de sa productivité revêt donc la valeur que l’on choisit de lui accorder. L’arrivée de la photographie à l’époque où la peinture figurative illustrait l’histoire humaine ne l’a pas remplacé, mais l’a magnifié au statut de média d’expression et l’a libéré de ses contraintes fonctionnelles. Ainsi en est-il des métiers d’art. Depuis une période historique relativement courte, les techniques traditionnelles sont en essor et se redéfinissent parmi les arts contemporains.